« Je traîne avec moi une vieille nostalgie qui crie de plus en plus fort à mesure que les années coulent et qu’elle assiste, impuissante, à mon destin d’éternelle exilée. Prendre racine, trouver une patrie et m’y attacher jusqu’à la fin, voilà mon profond souhait. »
Lettre de Maria Casarès à Albert Camus, le 30 août 1950
MONSTRE SACRÉ
Maria Casarès (La Corogne, 1922 – Alloue, 1996) est une des plus grandes comédiennes de théâtre de la seconde moitié du XXIe siècle. D’origine espagnole, María Victoria Casares Pérez arrive à l’âge de 14 ans en France avec sa famille fuyant la guerre d’Espagne. Son père, Santiago Casares Quiroga, était Président du Conseil des ministres de la deuxième République espagnole quand la guerre a éclaté, ce poste politique important mettait en danger l’ensemble de la famille. À partir de la victoire de Franco en 1939, les Casares savent qu’ils ne pourront pas retourner dans leur terre natale.
Maria Casarès, qui avait déjà pratiqué le théâtre dans sa jeunesse en Espagne, trouvera en France sa véritable vocation. Elle apprend le français, lutte contre son accent et réussit le concours d’entrée au Conservatoire National de Musique et d’Art Dramatique de Paris, où elle se forme auprès de Béatrix Dussan. Rapidement, elle va se révéler une des jeunes artistes les plus prometteuses de sa génération. Elle tourne plusieurs films, dont certains sont aujourd’hui des classiques du cinéma ("Les Enfants du paradis" de Marcel Carné, "Les Dames du bois de Boulogne" de Robert Bresson, "Orphée" de Jean Cocteau, etc). Cependant, elle décide de se consacrer pleinement au théâtre préférant la liberté des planches au carcan de la caméra.
Elle commence sa carrière théâtrale aux côtés de Marcel Herrand au Théâtre des Mathurins à Paris, où elle joue notamment dans la création du "Malentendu" d’Albert Camus. Au Théâtre Hébertot quelques années plus tard, elle incarnera Dora dans "Les Justes", rôle que Camus avait écrit pour elle.
Après un bref passage à la Comédie Française, elle rejoint la troupe du Théâtre National Populaire de Jean Vilar et devient une tragédienne légendaire. Acclamée notamment dans les rôles de Lady Macbeth et de Marie Tudor, elle s’inscrit dans la mémoire des spectateurs du Festival d’Avignon, du Palais de Chaillot mais aussi à l’international lors des grandes tournées du TNP.
Elle joue ensuite pour Jorge Lavelli, danse dans des pièces chorégraphiques de Maurice Béjart, crée avec Roger Blin "Les Paravents" de Jean Genet, puis travaille avec une nouvelle génération de metteurs en scène dont Patrice Chéreau et Bernard Sobel.
Passionnée des écritures, elle incarne des rôles classiques mais crée également les œuvres des auteurs majeurs de son temps : Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Paul Claudel, Jean Anouilh, Jean Genet, Copi etc. Bernard-Marie Koltès dira avoir désiré écrire pour le théâtre après avoir vu jouer Maria Casarès. Il lui écrira le rôle de Cécile dans "Quai Ouest", qu’elle interprétera lors de la création mise en scène par Patrice Chéreau.
S'ANCRER À LA VERGNE
En 1960, Albert Camus se tue dans un accident de voiture, laissant Maria Casarès dévastée par la perte du grand amour de sa vie. Cette même année, elle s’enrichit considérablement grâce au spectacle "Cher Menteur" qu’elle joue en duo avec Pierre Brasseur. Pour cette réfugiée espagnole coupée de ses racines, le besoin de s’ancrer, d’acquérir une terre prend sens. En 1961, Maria Casarès achète, avec le comédien, chanteur et musicien André Schlesser, le Domaine de la Vergne. Ces cinq hectares de terre deviennent pour cette exilée son refuge loin du « bûcher théâtral » parisien. Pendant les trente-cinq années qui suivirent, elle retourna à La Vergne se ressourcer dès que les exigences de son métier le lui permettaient.
En 1976, à la mort de Franco, Maria Casarès se rend en Espagne pour jouer dans "El adefesio" de Rafael Alberti, seule production théâtrale espagnole à laquelle elle participera. Cependant, ce retour ne la conduira pas dans sa Galice natale, qu’elle ne reverra jamais. En 1978, elle épouse André Schlesser et par ce mariage devient une citoyenne française.
Son talent et son apport à l’art du théâtre ont été salués par de nombreuses distinctions. Le Molière de la meilleure comédienne lui est décerné pour son interprétation d’Hécube, dans la pièce éponyme d’"Euripide" mise en scène par Bernard Sobel en 1989, suivi du Grand Prix National de Théâtre en 1990. Elle fut décorée Chevalier de la légion d’honneur et Commandeur des Arts et des lettres. En Espagne, elle reçoit la Médaille d’Or du Mérite des Beaux-Arts en 1987. Les prix du théâtre galicien portent son nom depuis 1996.
LE LEGS
Cette même année, elle décède au Domaine de la Vergne. Quelques jours avant sa mort, elle rédige un testament léguant sa propriété et tout ce qu’elle contient à la commune d’Alloue. Elle est enterrée aux côtés d’André Schlesser dans le cimetière du village qui surplombe le domaine.
© photographie Marc Comte Collection Armelle & Marc Enguérand